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La Nausée

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La Nausée
Loisele 18 août 2019 à 23:29

"La chose, qui attendait, s'est alertée, elle a fondu sur moi, elle se coule en moi, j'en suis plein. - Ce n'est rien: la Chose, c'est moi. L'existence, libérée, dégagée, reflue sur moi. J'existe.
J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger: on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux. Il y a de l'eau mousseuse dans ma bouche. Je l'avale, elle glisse dans ma gorge, elle me caresse - et la voila qui renaît dans ma bouche, j'ai dans la bouche à perpétuité une petite mare d'eau blanchâtre - discrète - qui frôle ma langue. Et cette mare, c'est encore moi. Et la langue. Et la gorge, c'est moi.
Je vois ma main, qui s'épanouit sur la table. Elle vit - c'est moi. Elle s'ouvre, les doigts se déploient et pointent. Elle est sur le dos. Elle me montre son ventre gras. Elle a l'air d'une bête à la renverse. Les doigts, ce sont les pattes. Je m'amuse à les faire remuer, très vite, comme les pattes d'un crabe qui est tombé sur le dos. Le crabe est mort: les pattes se recroquevillent, se ramènent sur le ventre de ma main. Je vois les ongles - la seule chose de moi qui ne vit pas. Et encore. Ma main se retourne, s'étale à plat ventre, elle m'offre à présent son dos. Un dos argenté, un peu brillant - on dirait un poisson, s'il n'y avait pas les poils roux à la naissance des phalanges. Je sens ma main. C'est moi, ces deux bêtes qui s'agitent au bout de mes bras. Ma main gratte une de ses pattes, avec l'ongle d'une autre patte; je sens son poids sur la table qui n'est pas moi. C'est long, long, cette impression de poids, ça ne passe pas. Il n'y a pas de raison pour que ça passe. A la longue, c'est intolérable... Je retire ma main, je la mets dans ma poche. Mais je sens tout de suite, à travers l'étoffe, la chaleur de ma cuisse. Aussitôt, je fais sauter ma main de ma poche; je la laisse pendre contre le dossier de la chaise. Maintenant, je sens son poids au bout de mon bras. Elle tire un peu, à peine, mollement, moelleusement, elle existe."

Jean Paul Sartre - La Nausée

Loisele 18 août 2019 à 23:33  •   16953

Lorsque j'étais jeune, j'ai souvent ressenti la nausée existentielle. Cette impression de voir le monde de façon détachée. Ce vivant qui m'était extérieur. Ces choses vivantes que je ne comprenais plus, comme des pantins qui se démenaient. Je n'ai compris qu'après avoir lu Sartre. Je l'ai reconnue : c'était elle, la nausée.

Clivele 19 août 2019 à 12:26  •   16974

Il faut différencier existence et vie. Et, comme le dit très bien Sartre, l'existence a quelque chose de lourd, épais, lent, et au final nauséeux.

Loisele 19 août 2019 à 12:42  •   16975

Il faut l'avoir expérimenté pour comprendre ce dont il s'agit exactement. La nausée est un état particulier de la conscience. Un état désagréable dois je dire. Je n'ai jamais apprécié quand la nausée me prenais.

Siryackle 19 août 2019 à 21:54  •   17008

Comme le dit à sa manière Clive, il y a un delà de l'existence que tu ne perçois pas... Dommage.

Loisele 19 août 2019 à 22:23  •   17009

Je ne comprends pas le "delà de l'existence" que je ne perçois pas. En quoi ne perçois-je pas le delà de l'existence?
Et le dommage est superflu car il s'agit un jugement péremptoire sans aucun fondement. Mais qui demande explication.

Siryackle 20 août 2019 à 10:27  •   17023

Oups ! "Au delà" de l'existence je voulais dire...
Être dans la boue, la nausée de l'existence est une chose. Aller au delà de l'existence, de son ego, des ses propres limitations personnelles... C'est encore mieux !! "Voir" la lumière de la Vie, voir les couleurs de la vie au delà de ses propres perceptions étriquées egotiques...
"Dommage" n'était pas pour moi un jugement. Tant pis si tu le prends comme ça. ("tant pis" est un jugement aussi ?)

Loisele 20 août 2019 à 12:45  •   17029

La nausée n'a rien à voir avec être dans la boue. Je n'ai jamais été dans la boue. Je n'ai jamais vu la vie comme quelque chose de sombre. La nausée est un sentiment qui m'a traversé quelques fois l'espace de quelques minutes. Qui fait voir l'existence dans sa trivialité. Mais une fois passée la nausée, on voit le bonheur de la vie. Donc je ne comprends pas votre écrit qui n'a rien à voir avec ce que je suis.

Siryackle 20 août 2019 à 13:27  •   17034

Ah ! Effectivement j'ai mal interprété... au vu de vos derniers posts. Désolé.
--> je sorts.

Pacaloule 27 août 2019 à 18:36  •   17595

Warning, explicit content.
La nausée pour moi c'est se sentir étranger à soi-même tout en se percevant comme quelque chose de vivant, d'organique, et d'assez répugnant. Un dégoût existentiel. Je pense que j'ai déjà ressenti ça, dans des circonstances bien particulières. C'est quelque chose qui vous donne envie, non pas de la mort, mais plutôt du néant. C'est le contraire de l'appétit, de la joyeuse libido, la libido ne se réduisant pas comme on le croit souvent au désir, mais étant l'appétit, l'appétit de vivre, le moteur de la vie, la curiosité, le désir de vivre. Pour moi, personne ne peut aimer la nausée. Car personne n'aime...ce que la nausée entraîne.

Loisele 27 août 2019 à 19:37  •   17598

C'est tout à fait ça, la nausée. On ressent le côté organique et répugnant de la vie. Heureusement que ce sentiment est passagé.

Juliette...le 27 août 2019 à 20:54  •   17607

Juste pour info.. J'ai eu la nausée pendant quasiment la totalité de ma grossesse.
Quand je suis tombée enceinte, j'étrennais tout juste la "complète" digestion de mon deuil de ne pas avoir d'enfant. Fausses couches + refus d'enfanter un être voué à, au moins, quelque souffrance...
L'enfant qui en est né m'apporte une démultiplication de moyens hallucinante.
J'en ai parlé plus loin enfin, dans l'estime de soi, j'ai cru que j'avais eu tort de le mettre au monde. Je ne pouvais, savais pas voir comme il n'en était rien.
Aujourd'hui, même s'il y a des moments de doute, la question n'est plus la même. Il est au monde et il est bien au monde. Il est on ne peut plus vivant. Il aime la vie!
La question ressemble désormais plutôt à: comment rassembler au mieux et au plus vite les conditions idéales à notre épanouissement.
Par la confiance, c'est certain. En moi, en lui, en la vie. En lui, en la vie, en moi. En la vie, en lui, en moi....


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