Philosophie et spiritualité

Propos sur le bonheur

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Propos sur le bonheur
zozottele 11 juin 2023 à 08:36

Hello, j'ouvre donc un nouveau fil.
Ce n'est pas le tome III de la philosophie pour les nuls,et ce n'est pas sur Nietzsche.
Mais je pense que ça peut plaire et apporter quelque chose ici,et @OOO j'ai pensé à toi,et je crois que ça pourrait t'aider à trouver ta place ou tes passions peut être.🙂
Je mettrais juste de temps en temps des textes brut de ce livre, Propos sur le bonheur,d'Alain.
Je trouve ce livre magnifique,et ne pas le partager serait dommage.
Je met déjà ici le quatrième de couverture,en attendant d'en mettre plus régulièrement :

citation :
Voici le jardin du philosophe.On y cuiellera des fruits mûris sur le tronc de la sagesse et dorés à cette autre lumière des idées.Ils en reprennent leur saveur d'origine,qui est le goût de l'existence.Saveur oubliée en nos pensées,car on voudrait s'assurer que l'existence est bonne et on ne le peut; on en déçoit donc l'esperence par précaution, prononçant qu'elle est mauvaise.De la s'étend l'empire de l'imagination déréglée,en quoi Alain,se confiant à la sagesse du corps,restaure la souveraineté claire de l'homme heureux et qui n'attend pas pour l'être,ici et non ailleurs,que l'événement lui donne raison, acteur enfin et non spectateur de soi même.



Voilà, à très vite pour la suite,et avec ce fil on pourra redevenir acteurs de nos vies j'espère !

Tsunadele 11 juin 2023 à 14:36  •   99078

Mon grand père répétait souvent une phrase d'Alain qui doit venir de ce livre. Je crois que c'était "son bonheur, on le veut" .. si tu trouves la citation exacte (ou si tu peux me confirmer la citation), voire si tu as le contexte, je suis preneuse.

48 ans d'expérience m'ont en effet convaincue qu'on ne rendait pas quelqu'un heureux .. on ne se rend heureux que soi même, et ce n'est pas égoîste, c'est juste un humble constat. Et se rendre responsable du bonheur des autres, c'est s'épuiser ...
Le grand philosophe Will Smith a dit "depuis que nous avons compris, avec ma femme, que chacun est responsable de son bonheur, ça se passe beaucoup mieux" ...(voir la vidéo) bon, pour Will Smith, je ne suis pas sure (rapport à une certaine claque et à un gars qui à 2 pacs ... enfin je ne sais plus très bien, les connaisseurs me corrigeront ...)... mais je crois quand même qu'à sa manière, il a "vulgarisé" les propos d'Alain (qui ne peut pas faire de video Youtube, c'est bien dommage pour l'humanité ...) et j'avais trouvé que la déclinaison IRL n'était pas si mal venue.

Tout ça pour dire que, ça m'intéresse, et je suis ! 😋

OOOle 11 juin 2023 à 14:38  •   99079

🙂 👍
Présente ! Je lis donc je suis... de très près ce fil...
Merci @zozotte !

Surderienle 11 juin 2023 à 18:52  •   99083

😇.
"Le bonheur est l'accord vrai entre un homme et l'existence qu'il mène"
- Albert Camus


"Sur le plan métaphysique l'existence peut sembler absurde (Camus, le Mythe de Sisyphe). Il n'y a pas de recette miracle pour pérenniser le bonheur, mais il existe de petits moyens pours'en approcher : vivre SA vie et agir. L'éphémérité de l'existence vie en prescrit l'urgence."

Sur le site de Jean-Christian Michel :

Une des étoiles musicales ( et HPI ?) de ma vie ...

https://www.jean-christian-michel.com/biographie.html


Accorder sa vie à sa partition de vie la plus choisie...
🥰

Il y a aussi çà...
Un univers sans fin...
https://www.jean-christian-michel.com/univers.html

zozottele 11 juin 2023 à 23:47  •   99096

Merci à vous.
@Tsunade, Will Smith grand philosophe il fallait y penser c'est vrai !😄
Il y a plein de philosophie dans le Prince de Bel air en plus si on y regarde bien !
Pour ce qui est de le citation de ton grand père "son bonheur on le veut",je ne l'ai pas retrouvé dans le livre au mot près, mais c'est bien le sens du livre.
Par contre,Alain dit bien oui, que c'est à nous de vivre notre bonheur, mais il ne dit pas que l'on ne rend pas quelqu'un heureux,ni que se rendre responsable du bonheur des autres c'est s'épuiser.
Il dit le contraire,que le bonheur est contagieux, comme la joie,ou la tristesse.
Des pleurs entraînent des pleurs,des rires entraînent des rires.
C'est aussi simple que ça,et quand on le comprend,on comprend qu'il nous appartient d'être heureux,et aussi de le transmettre aux autres, par contagion.
C'est tout le principe du livre dont je vous livre ici le premier extrait pour partager tout ça.
J'essaierai d'en mettre régulièrement, ça peut se lire sans aucun sens précis.
Mais le principe est bien la,le bonheur ça s'apprend, comme on apprend la gymnastique ou l'équitation, ou l'escrime.
Ça peut être difficile au début, mais plus on s'entraîne plus on y arrive,et plus ça devient naturel.
Et aussi, plus on est heureux,plus il y a de gens heureux, plus on est heureux.
CQFD.
Bon allez voici le premier extrait :

Bonne année

Tous ces cadeaux,en temps d'étrennes, arrivent à remuer plus de tristesses que de joies.Car personne n'est assez riche pour rentrer dans l'année nouvelle sans faire beaucoup d'additions; et plus d'un gémira en secret sur les nids à poussière qu'il aura reçu des uns et des autres, et qu'il aura donnés aux uns et aux autres pour enrichir les marchands. J'entends encore cette petite fille dont les parents ont beaucoup d'amis,et qui disait en considérant le premier buvard qu'elle recevait à une fin d'année: "Bon, voilà les buvards qui arrivent". Il y a bien de l'indifférence mais aussi des colères rentrées, dans cette fureur de donner. L'obligation gate tout. Et en même temps les bonbons de chocolat chargent l'estomac et nourrissent la misanthropie. Bah! Donnons vite, et mangeons vite, ce n'est qu'un moment à passer.

Venons au sérieux. Je vous souhaite la bonne humeur. Voilà ce qu'il faudrait offrir et recevoir. Voilà la vraie politesse qui enrichit tout le monde, et d'abord celui qui donne. Voilà le trésor qui se multiple par l'échange. On peut le semer le long des rues dans les tramways, dans les kiosques à journaux, il ne s'en perdra pas un atome. Elle poussera et fleurira partout où vous l'aurez jetée. Quand il se fait à quelque carrefour, un entrelacement de voitures, ce ne sont que jurons et invectives, et les chevaux tirent de toutes leurs forces, ce qui fait que le mal s'aggrave de lui-même. Tout embarras est ainsi: facile à démêler,si l'on voulait sourire, mesurer ses efforts, détendre un peu toutes les coleres qui tirent à hu et à dia, mais bientôt noeud gordien, au contraire, si l'on tire en grinçant des dents sur tous les bouts de corde. Madame grince; la cuisinière grince, le gigot sera trop cuit, de la des discours furibonds.
Pour que tous ces Prométhées fussent déliés et libres,il ne fallait pourtant qu'un sourire au bon moment.Mais personne ne songe à une chose aussi simple.
Tous travaillent à bien tirer sur la corde qui les étrangle.La vie en commun multiplie les maux.
Vous entrez dans un restaurant,vous jetez un regard ennemi au voisin,un autre au menu,un autre au garçon.C'en est fait.La mauvaise humeur court d'un visage à l'autre;tout se heurte autour de vous;il y aura peut être des verres cassés,et le garçon battera sa femme ce soir.
Saisissez bien ce mécanisme et cette contagion, vous voila magicien et donneur de joie ; dieu bienfaisant partout.Dites une bonne parole,un bon merci,soyez bon pour le veau froid; vous pourrez suivre cette vague de bonne humeur jusqu'au plus petites plages,le garçon interpellera la cuisine d'un autre ton,et les gens passeront autrement entre les chaises;ainsi la vague de bonne humeur s'elargira autour de vous, allègera toutes choses et vous même.
Cela est sans fin.Mais veillez bien au départ.
Commencez bien la journée,et commencez bien l'année.
Quel tumulte dans cette rue étroite !
Que d'injures,que de violences.Le sang coule ;il faudra que les juges s'en mêlent.
Tout cela pouvait être évité par la prudence d'un seul cocher,par un tout petit mouvement de ses mains.
Sois donc un bon cocher, donne toi de l'aise sur ton siège,et tient ton cheval en main.



Voila pour ce premier extrait, le premier d'une longue série qui va nous apprendre la gymnastique du bonheur.

Sandcoeurle 12 juin 2023 à 01:03  •   99105

Le bonheur n est pas un état contant , il n est pas en tant que tel il est fait de gouttelettes parsemées que l on prend pour les mettre dans le contenant qui est nous , on s emplit de gouttes de bonheur .
Il est dans la richesse de la vie , dans la prise de conscience que vieillir est une chance qui n est pas donnée à tout le monde , et dans le sourire de cet enfant inconnu qui nous sourit quand on le croise , il est dans la main de cette amie qui prend la tienne quand tu es triste, il est dans ce chant mélodieux de cet oiseau que tu entends un instant sur une aire d autoroute, il est dans la tarte que tu viens de réussir , il est en cette fleur qui s est ouverte alors qu hier elle n était que bouton, il est tout autour de nous mêmes les jours les plus noirs , les plus tristes , les plus sombres .

Il faut apprendre à le le voir , l entendre , le sentir , le ressentir , le prendre se l approprier , s en imprégner , il sera toujours en toi si tu sais l apprivoiser , il y aidera par les souvenirs heureux quand tu seras perdu . Comme une éponge , un cactus , un océan tu garderas toujours quelques gouttes de bonheur .

C est ma vision du bonheur très personnelle pour d autres il sera dans la réussite professionnelle, dans le cumul des biens matériels ...Chacun son bonheur ....

zozottele 12 juin 2023 à 06:53  •   99108

Chacun son bonheur c'est vrai @sandcoeur.
Le truc qu'il faut surtout comprendre, c'est que penser aux problèmes entraîne les problèmes.
Penser positif, du coup, entraîne le contraire.
A très vite pour la suite.

gildele 12 juin 2023 à 08:13  •   99111

@zozotte ... À la bonne heure d'avoir lancé ce fil ... Sujet ultime, quintessence d'une vie !

En Vl'a du propos sûr la " chose ' ....en Vl'a ;
https://www.afterclasse.fr/fiche/1020/le-bonheur

Qu'ajouterai-je de plus?
Juste que j'espère que ce lien aura l'heur de vous plaire ...

Surderienle 12 juin 2023 à 10:58  •   99113

.
@gilde
Merci pource lien qui me confirme que lorsque je suis en accord avec moi-même et avec les autres, je suis profondément heureux.
🥰

Sandcoeurle 12 juin 2023 à 12:39  •   99114

Merci @gilde

j'aime beaucoup ce passage
"Ces deux raisons font dire à Kant que le bonheur n'est qu'un produit de notre imagination. C'est l'idéal de tous les hommes : mais aucun n'est capable de dire ce qui le rendrait heureux."

--> ça me fait penser que c'est très personnel ,et plus haut comme j'sais plus qui c'et fluctuant en intensité , mais quelque part on se l'autorise ou pas selon nos visions perso du bonheur .

un état, un sentiment profond plus qu'une émotion . Et oui c'est communicatif enfin je pense .

zozottele 12 juin 2023 à 18:23  •   99116

Deux nouveaux extraits si dessous.


Vouloir.

Les feuilles poussent. Bientôt, la galéruque, qui est une petite chenille verte, s'installera sur les feuilles de l'Ormeau et les dévorera. L'arbre sera comme privé de ses poumons. Vous le verrez, pour résister à l'asphyxie, pousser de nouvelles feuilles et vivre une seconde fois le printemps. Mais ces efforts l'épuiseront. Une année ou l'autre, vous verrez qu'il n'arrivera point à déplier ses nouvelles feuilles, et il mourra.
Ainsi gémissait un ami des arbres, comme nous nous promenions dans son parc Il me montrait des Ormeaux centenaires et m'annonçait leur fin prochaine. Je lui dis: Il faut lutter, cette petite chenille est sans force . Si l'on en peut tuer une, on peut en tuer cent et mille. Qu'est-ce qu'un millier de chenilles? répondit il.Il y en a des millions. J'aime mieux n'y pas penser.
Mais, lui dis-je, vous avez de l'argent. Avec l'argent on achète des journées de travail. Dix ouvriers travaillant dix jours tueront plus d'un millier de chenilles. Ne sacrifieriez-vous pas quelques centaines de francs pour conserver ces beaux arbres?
J'en ai trop, dit-il; et j'ai trop peu d'ouvriers.
Comment atteindront-ils les hautes branches?Il faudrait
des émondeurs. Je n'en connais que deux dans le pays «Deux, lui dis-je, c'est déjà quelque chose.Ils s'occuperont des hautes branches.D'autres moins habiles se serviront d'échelles. Et si vous ne sauvez pas tous vos arbres, vous en sauverez du moins deux ou trois. Le courage me manque, dit-il enfin.Je sais ce que je ferai. Je m'en irai pendant quelque temps pour ne pas voir cette invasion de chenilles.
O puissance de l'imagination, lui répondis je.
Vous voilà en déroute avant d'avoir combattu.Ne regardez pas au-delà de vos mains. On n'agirait jamais si on considérait le poids immense des choses et la faiblesse de l'Homme. C'est pourquoi il faut agir et penser son action. Voyez ce maçon; il tourne tranquillement sa manivelle; c'est à peine si la grosse pierre remue. Pourtant la maison sera achevée, et des enfants gambaderont dans les escaliers. J'ai admiré une fois un ouvrier qui s'installait avec son vilebrequin, pour percer une muraille d'acier qui avait bien quinze centimetres d'épaisseur. Il tournait son outil en sifflant ; les fins copeaux d'acier tombaient comme une neige. L'audace de cet homme me saisit. Il y a dix ans de cela.
Soyez sur qu'il a percé ce trou la et bien d'autres. Les chenilles elles-mêmes vous font la leçon.Quest ce qu'une chenille auprès d'un Ormeau?Mais tous ces menus coups de dent dévoreront une forêt.Il faut avoir foi dans les petits efforts et lutter en insecte contre l'insecte. Mille causes travaillent pour, sans quoi il n'y aurait point d'ormeaux. La destinée est instable ; une chiquenaude crée un monde nouveau.Le plus petit effort entraine des suites sans fin. Celui qui a planté ces ormes n'a pas délibéré sur la brièveté de la vie.Jetez-vous comme lui dans l'action sans regarder plus loin que vos pieds, et vous sauverez vos Ormeaux.



Attitude

Le plus vulgaire des hommes est un grand artiste dès qu'il mime ses malheurs.S'il a le coeur serré, comme on dit si bien, vous le voyez encore étrangler sa poitrine avec ses bras et tendre tous ses muscles les uns contre les autres.
Dans l'absence de tout ennemi,il serre les dents,arme sa poitrine,et montre le poing au ciel.
Et sachez bien que, même si ces gestes perturbateurs ne se produisent pas au-dehors, ils n'en sont pas moins esquissés à l'intérieur du corps immobile, d'où résultent de plus puissants effets encore. On s'étonne quelquefois, quand on ne dort point, de ce que les mêmes pensées, presque toujours désagréables, tournent en rond: il y a à parier que c'est la mimique esquissée qui les rappelle. Contre tous les maux de l'ordre moral, et aussi bien contre les maladies à leur commencement, il faut assouplissement et gymnastique ; et je crois que presque toujours ce remède suffirait: mais on n'y pense point.
Les coutumes de politesse sont bien puissantes sur nos pensées; et ce n'est pas un petit secours contre l'humeur et même contre le mal d'estomac si l'on n mime la douceur, la bienveillance et la jole: ces mouvements, qui sont courbettes et sourires, ont cela de bon qu'ils rendent impossibles les mouvements opposés, de fureur, de défiance, de tristesse. C'est pourquoi la vie de société, les visites, les cérémonies et les fêtes sont toujours aimées; c'est une occasion de mimer le bonheur: et ce genre de comédie nous délivre certainement de la tragédie; ce n'est pas peu.
L'attitude religieuse est utile à considérer pour le médecin; car ce corps agenouillé, replié et détendu délivre les organes, et rend les fonctions vitales plus aisées. Baisse la tète, fier Sicambre; on ne lui demande point de se guérir de colère et d'orgueil mais d'abord de se taire, de reposer ses yeux, et de se disposer selon la douceur: par ce moyen tout le violent du caractère est effacé; non pas à la longue ni pour toujours, car cela dépasse notre pouvoir, mais aussitôt et pour un moment. Les miracles de la religion ne sont point miracles.
Il est beau de voir comment un homme chasse une idée importune ;vous le voyez hausser les épaules et secouer sa poitrine, comme s'il demelait ses muscles ;vous le voyez tourner la tête,de façon à se donner d'autres perceptions et d'autres rêveries; jeter au loin ses soucis par un geste libre,et faire claquer ses doigts, ce qui est le commencement d'une danse.
Si la harpe de David le prend à ce moment la, réglant et temperant ses gestes afin d'écarter toute fureur et toute impatiente, le mélancolique se trouve aussitôt guéri.
J'aime le geste de la perplexité ; l'homme de gratte les cheveux derrière l'oreille;or, cette ruse a pour effet de détourner et amuser un des gestes les plus redoutables,celui qui va lancer la pierre ou le javelot.
Ici la mimique qui délivre est tout près du geste qui entraîne.Le chapelet est une invention admirable qui occupe la pensée et les doigts ensemble à compter.Mais le secret du sage est encore plus beau, d'après lequel la volonté n'a aucune prise sur les passions, mais a prise directe sur les mouvements.
Il est plus facile de prendre un violon et d'en jouer que de se faire, comme on dit,une raison.

OOOle 13 juin 2023 à 13:02  •   99150

💙 💚 🧡
👍 👍 👍

zozottele 14 juin 2023 à 18:14  •   99209

Allez, voici trois nouveaux extraits.


Crainte est maladie

Je me souviens d'un canonnier qui lisait dans les mains. Il était bûcheron de son métier et formé par cette vie sauvage à l'interprétation immédiate des signes; je suppose qu'à l'imitation de quelque autre sorcier il s'était mis à observer aussi le creux des mains; et c'était là qu'il lisait la pensée, comme nous faisons tous dans le regard et dans les plis du visage. Au bois des Clairs Chênes, à la lueur d'une bougie, il retrouvait son temple et sa majesté, disant au sujet des caractères des choses souvent justes et toujours mesurées, annonçant aussi l'avenir prochain et l'avenir lointain de chacun, choses qui ne font point rire. Et j'eus l'occasion de remarquer dans la suite qu'une de ses prédictions se trouva vérifiée; en quoi sans dout j'ajoutais quelque chose au souvenir, car il m'était agréable de retrouver la prédiction dans l'événement. Ce jeu de l'imagination m'avertit une fois de plus, me confirma dans la prudence que j'ai toujours suivie car je n'ai montré les lignes de ma main ni à lui ni à aucun autre. Toute la force de l'incrédulité est en ce qu'on ne veut point consulter l'oracle; dès qu'on consulte, il faut y croire un peu. Aussi la fin des oracles, qui marque la révolution chrétienne, n'est-elle pas un petit événement.
Thalès, Bias, Démocrite et les autres vieillards fameux des temps anciens avaient sans doute une tension artérielle peu satisfaisante dans le temps où ils commençaient à perdre leurs cheveux; mais ils n'en savaient rien; ce n'était pas un petit avantage. Les solitaires de la Thébaïde se trouvaient encore mieu placés; comme ils espéraient la mort au lieu de la craindre, ils vivaient très longtemps. Si l'on étudiat physiologiquement et de très près l'inquiétude et la crainte, on verrait que ce sont des maladies qui s'ajoutent aux autres et en précipitent le cours, en sorte que celui qui sait qu'il est malade, et qui le sait d'avance d'après l'oracle médecin, se trouve deux fois malade. Je vois bien que la crainte nous conduit à combattre la maladie par le régime et les remèdes; mais quel régime et quels remèdes nous guériront de craindre?
Le vertige qui nous prend sur les hauteurs est une maladie véritable, qui vient de ce que nous mimons la chute et les mouvements désespérés d'un homme qui tombe. Ce mal est tout d'imagination. La colique du candidat de même; ainsi la crainte de répondre mal agit aussi énergiquement que l'huile de ricin. Mesurez d'après cela les effets d'une crainte continuelle. Mais pour se rendre prudent à l'égard de la prudence, il faut arriver à considérer ceci, que les mouvements de la crainte vont naturellement à aggraver le mal. Celui qui craint de ne pas dormir est mal disposé pour dormir, et celui qui craint son estomac est mal disposé pour digérer. Il faudrait donc mimer la santé plutôt que la maladie. Cette gymnastique n'est pas connue dans ses détails, mais on peut parier que les gestes de la politesse et de la bienveillance se rapportent à la santé, d'après cette sorte de théorème selon lequel les signes de la santé ne sont autres que les mouvements conformes à la santé. Les mauvais médecins seraient donc ceux qu'on aime assez pour vouloir les interresser à ses propres maux ; et les bons médecins sont ceux au contraire qui vous demandent selon l'usage :"comment allez-vous ?" et qui n'écoutent pas la réponse.



Maux d'esprit

L'imagination est pire qu'un bourreau chinois; elle dose la peur; elle nous la fait goûter en gourmets. Une catastrophe réelle ne frappe pas deux fois au même point; le coup écrase la victime; l'instant d'avant elle était comme nous sommes quand nous ne pensons point à la catastrophe. Un promeneur est atteint par une automobile, lancé à vingt mètres et tué net. Le drame est fini; il n'a point commencé; il n'a point duré; c'est par réflexion que naît la durée.
Aussi, moi qui pense à l'accident, j'en juge très mal. J'en juge comme un homme qui, toujours sur le point d'être écrasé, ne le serait jamais. J'imagine cette auto qui arrive; dans le fait, je me sauverais si je percevais une telle chose; mais je ne me sauve pas, parce que je me met à la place de celui qui a été écrasé.Je me donne comme une vue cinématographique de mon propre écrasement , mais une vue ralentie, et même arrêtée de temps en temps; et je recommence; je meurs mille fois et tout vivant. Pascal disait que la maladie est insupportable pour celui qui se porte bien, justement parce qu'il se porte bien. Une maladie grave nous accable sans doute assez pour que nous n'en sentions plus enfin que l'action présente. Un fait a cela de bon, si mauvais qu'il soit, qu'il met fin au jeu des possibles, qu'il n'est plus à venir, et qu'il nous montre un avenir nouveau avec des couleurs nouvelles. Un homme qui souffre espère, comme un bonheur mer- veilleux, un état médiocre qui, la veille, aurait fait son malheur peut-être. Nous sommes plus sages que nous ne croyons.
Les maux réels vont vite, comme le bourreau va chez nous. Il coupe les cheveux, échancre la chemise, lie les bras, pousse l'homme. Cela me paraît long, parce que j'y pense, parce que j'y reviens, parce que j'essaie d'entendre ce bruit des ciseaux, de sentir la main des aides sur mon bras. Dans le fait une impres- sion chasse l'autre, et les pensées réelles du condamné sont des frissons sans doute, comme les tronçons d'un ver; nous voulons que le ver souffre d'être coupé en morceaux; mais dans quel morceau sera la souffrance du ver?
On souffre de retrouver un vieillard revenu à l'enfance, ou un ivrogne hébété qui nous montre « le tombeau d'un ami ». On souffre parce que l'on veut qu'ils soient en même temps ce qu'ils sont et ce qu'ils ne sont plus. Mais la nature a fait son chemin; ses pas sont heureusement irréparables; chaque état nouveau rendait possible le suivant; toute cette détresse que vous ramassez en un point est égrenée sur la route du temps: c'est le malheur de cet instant qui va porter l'instant suivant. Un homme vieux, ce n'est pas un homme jeune qui souffre de la vieillesse; un homme qui meurt ce n'est pas un vivant qui meurt. C'est pourquoi il n'y a que les vivants qui soient
atteints par la mort, que les heureux qui conçoivent le poidz de l'infortune; et, pour tout dire, on peut être plus sensible aux maux d'autrui qu'à ses propres
maux, et sans hypocrisie. De là un faux jugement sur la vie, qui empoisonne la vie, si l'on n'y prend garde. Il faut penser le réel présent de toutes ses forces, par
science vraie, au lieu de jouer la tragédie.



Argant

De très petites causes peuvent gâter une belle journée, par exemple un soulier qui blesse. Rien ne peut plaire alors, et le jugement en est hébété. Le remède est simple; tout ce malheur s'enlève comme un vêtement. Nous le savons bien; et ces malheurs sont rendus légers, même dans le présent, par la connaissance des causes. Le nourrisson qui sent la pointe d'une épingle hurle comme s'il était malade au plus profond; c'est qu'il n'a pas idée de la cause ni du remède. Et quelquefois même il se fait mal à force de crier, et ne crie que plus fort.Voila ce que l'on doit nommer un mal imaginaire; car les maux imaginaire sont aussi réels que les autres; ils sont seulement imaginaires en ceci que nous les entretenons par nos propres mouvements, en même temps que nous accusons les choses extérieures. Il n'y a pas que les nourrissons qui s'irritent de crier. On dit souvent que la mauvaise humeur est une maladie et qu'on n'y peut rien. C'est pourquoi je rappelle d'abord des exemples de souffrance et d'irritation qu'un mouvement très simple peut aussitôt supprimer. On sait qu'une crampe au mollet ferait crier l'homme le plus ferme; mais appuyez le pied bien à plat sur le sol, et vous êtes guéri en un instant. Pour un moucheron ou un charbon dans l'oeil, si vous vous frottez, c'est un ennui de deux ou trois heures; mais tenez seulement vos deux mains immobiles et regardez la pointe de votre nez; aussitôt le courant des larmes vous délivre; et, depuis que j'ai appris ce remède simple, j'en ai fait plus de vingt fois l'expérience. Preuve qu'il est sage de ne pas d'abord accuser les êtres et choses autour de nous, et de prendre garde premièrement à nous-même. On croit observer quelquefois chez les autres une certaine prédilection pour le malheur, et cela se voit grossi dans un certain genre de fous. D'où l'on pourrait bien inventer quelques sentiments en même temps et diabolique. C'est être dupe de l'imagination; il n'y a point tant profondeur dans un homme qui se gratte, et nullement un appétit de douleur, mais plutôt une agitation et irritation qui s'entretiennent d'elles-mêmes, par l'ignorance des causes. La peur qu'on a de tomber de tomber de cheval résulte de mouvements gauches et tumultueux par lesquels nous croyons nous sauver de chute; et le pire est que ces mouvements font peur au cheval. D'où je conclurais, à la manière Scythe, que lorsqu'un homme sait monter à cheval, il a toute la sagesse ou presque. Il y a même un art de tomber, étonnant dans l'ivrogne parce qu'il ne pense point du tout à bien tomber, admirable dans le pompier, parce qu'il a appris par gymnastique à tomber sans craindre.
Un sourire nous semble peu de chose et sans effet sur l'humeur; aussi ne l'essayons-nous point. Mais la politesse souvent, en nous tirant un sourire et la grâce d'un salut, nous change tout. Le physiologiste en sait bien la raison; car le sourire descend aussi profond que le bâillement, et, de proche en proche, délie la gorge, les poumons et le coeur. Le médecin ne trouverait pas, dans sa boîte à remèdes, de quoi agir si promptement, si harmonieusement. L'imagination ici nous tire de peine par un soulagement qui n'est pas moins réel que les maux qu'elle cause. Au reste celui qui veut faire l'insouciant sait bien hausser les épaules, ce qui, à bien regarder, aère les poumons et calme le coeur, dans tous les sens du mot. Car ce mot a plusieurs sens, mais il n'y a qu'un coeur.

Sandcoeurle 14 juin 2023 à 19:08  •   99213

@zozotte merci , évidemment je ne peux m empêcher de faire des liens entre le livre de weber que je vient de finir , les vidéos sur l'a dissociations , les messages d amis que je viens de lire ....en n oubliant pas le parallèle de ces mots avec la psychologie , et les neurosciences vidéo sur la vérité d' Albert moukheiber ..... sans oublier ma vision personnelle le tout entraine une fiesta boum boum dans ma tête est j adore ça .....merci !

Surderienle 14 juin 2023 à 19:39  •   99215

.
Allez ! Sujet du bac !

Faut bien se pauser la question une fois dans sa vie ?

"Le bonheur est-il affaire de raison ?"

Si vous êtes un hp intello vous n'êtes donc pas un imbécile...
Mais en êtes-vous vraiment heureux ?

https://www.philomag.com/articles/corriges-du-bac-philo-filiere-generale-le-bonheur-est-il-affaire-de-raison

🤔

zozottele 14 juin 2023 à 23:19  •   99232

@sandcoeur, tu as bien raison de faire des liens.
Dans ces liens tout s'imbrique, les pièces de puzzle se mettent en place,et la sérénité prend de plus en plus de place dans tout ça.
Et vive la fiesta boum boum dans nos têtes !
@Surderien le bonheur est il affaire de raison ?
Ça m'a fait rire aussi quand j'ai entendu l'énoncé !
Et je dirais donc que selon Alain oui,le bonheur est affaire de raison,il n'est même que ça.
Bon je ne sais pas si j'aurai eu une bonne note avec ça hein!😄

Surderienle 15 juin 2023 à 08:15  •   99238

.
@zozotte
J'aurais contrarié le correcteur, s'il était vraiment philosophe car j'ai toujours été un imbécile heureux (nul selon le modèle philo typique 😜) en philo.
J'ai raté mon premier bac à cause de la philo et du sport...
Je suis bien plus psycho-logue que philo-analogue.
Les échanges dans les amphithéâtres de l'agora étaient thérapeutiques.
Les philosophes les utilisent sans savoir le pourquoi du comment et en font toute une salade dans une quête du bonheur ( de sagesse) sans fin...

Nombre de psycho-thérapeutes ont compris leur philologie.
Viktor Frankl en a probablement déduit sa logothérapie.
Dabrowski sa désintégration positive.
Se débarrasser de cette quête sans fin et vivre en accord avec soi, le monde et tout le monde, c'est finalement facile et spontanément transmissible.
"Quand on a trouvé le bonheur, reste plus qu'à l'échanger.."😘

Comme nombreux le font ici...
🥰

Poutine ne le comprendra jamais et continuera sa guerre contre lui-même.
A distribuer ses médailles en chocolat, //// erreur de syntetaxe /// : en argent massif.
Et à détester (tout) le monde, s'il n'est pas qu'à lui...
😡

OOOle 15 juin 2023 à 09:36  •   99243

J'ai pensé à ce fil quand j'ai entendu le sujet philo bac. J'espère que certainsbacheliers l'auront lu juste avant...
Je crois que j'aurais eu la même réponse que @zozotte mais cette réponse je ne l'aurai pas eu à 18 ans.
Dans les derniers extraits d'Alain, on peut faire un lien entre ce qu'il décrit et les effets placebo/nocebo/prophéties autoréalisées, non ?

zozottele 15 juin 2023 à 13:19  •   99255

@Surderien je suis comme toi tu sais,un imbécile heureux.😀
Le problème en fait,ce n'est pas de l'être, c'est surtout de comprendre comment ça se fait,et pourquoi on me dit
que ce n'est pas normal ?
C'est les on dit le problème.
Être un imbécile heureux c'est beau quand on a compris qu'on a bien raison finalement !
@OOO ,tu dis "Dans les derniers extraits d'Alain, on peut faire un lien entre ce qu'il décrit et les effets placebo/nocebo/prophéties autoréalisées, non ?"
Oui, tout à fait,je mettrai d'ailleurs vite d'autres extraits ici,je ne veux pas trop faire d'explications de textes pour ne pas nuire à l'authenticité d'Alain, car je trouve que ça serait gâcher la beauté de ses écrits.
D'ailleurs vous savez Alain m'a été conseillé par @Abderian.
Je ne sais pas s'il voulait que je le cite mais moi j'ai envi alors voilà !😀
Allez à très vite pour d'autres extraits alors !

gildele 16 juin 2023 à 10:06  •   99303

Qu'est ce que le vrai bonheur ?
Selon un gourou indien ...
voir la vidéo

zozottele 19 juin 2023 à 11:05  •   99462

Allez faut pas perdre le rythme je met donc trois nouveaux extraits, quand c'est beau on ne compte pas !

Vitesse

J'ai vu une des nouvelles locomotive de l'Ouest, plus longue, plus haute, plus simple que les autres. Les rouages en sont en finits comme ceux d'une montre; cela roule presque sans bruit ; on sent que tous les efforts u sont utiles et tendent tous vers une même fin; la vapeur ne s'en échappe point sans avoir usé sur les pistons toute l'énergie qu'elle a reçu du feu; j'imagine le démarrage aisé, la vitesse régulière,la pression agissant sans secousse,et le lourd convoi glissant de deux kilomètres en une minute.
Au reste le tender monumental en dit long sur le charbon qu'il faudra brûler.
Voilà bien de la science, bien des plans, bien des essais, bien des coups de marteau et de lime.Tout cela pourquoi ? Pour gagner peut-être un quart d'heure sur la durée du voyage entre Paris et Le Havre.Et que feront-ils, les heureux voyageurs, de ce quart d'heure si chèrement acheté? Beaucoup l'useront sur le qual attendre à l'heure; d'autres resteront un quart d'heure de plus au café et liront le journal jusqu'aux annonces. Où est le profit? Pour qui est le profit?
Chose étrange, le voyageur, qui s'ennuierait si le train allait moins vite, emploiera un quart d'heure avant le départ ou après l'arrivée, à expliquer que ce train met un quart d'heure de moins que les autres pour faire le même parcours. Tout homme perd au moins un quart d'heure par jour à tenir des propos de cette force, ou à jouer aux cartes, ou à réver. Pourque ne perdrait-il pas aussi bien ce temps-là en wagon?
Nulle part on n'est mieux qu'en wagon; je parle de trains rapides. On y est fort bien assis, mieux que dans n'importe quel fauteuil. Par de larges baies on voit passer les fleuves, les vallées, les collines, les bourgade et les villes; l'oeil suit les routes à flanc de coteaux,des voitures sur ces routes, des trains de bateaux sur le fleuve; toutes les richesses du pays s'étalent, tantôt des blés et des seigles, tantôt des champs de betteraves, une raffinerie, puis de belles futaies, puis des herbages des boeufs, des chevaux. Les tranchées font voir les couches du terrain. Voilà un merveilleux album de géographie, que vous feuilletez sans peine, et qui change tous les jours, selon les saisons et selon le temps. On voit l'orage s'amasser derrière les collines et les voitures de foin se hater le long des routes; un autre jour les moissonneurs travaillent dans une poussière dorée et l'air vibre au soleil.
Quel spectacle égal celui la ?
Mais le voyageur lit son journal, essaie de s'intéresser à de mauvaises gravures,tire sa montre,baille, ouvre sa valise,la referme.
A peine arrivé,il héle un fiacre,et court comme si le feu était à sa maison.Dans la soirée,vous le retrouverez au théâtre ;il admirera des arbres en carton peint,des fausses moissons,un faux cocher ;de faux moissonneurs lui brailleront aux oreilles ;et il dira,tout en frottant ses genoux meurtris par l'espèce de boîte où il est emprisonné :"les moissonneurs chantent faux; mais le décors n'est pas laid."




Jérémiades

Ce que je vous souhaite pour cette année qui recommence, c'est-à-dire pour le temps qu'il faut au soleil pour remonter à son plus haut et redescendre ensuite au plus bas,ce que je vous souhaite c'est de ne pas dire et aussi de ne pas penser que tout va de mal en pis.
"Cette soif de l'or cette ardeur au plaisir cette oubli des devoirs, cette insolence de la jeunesse, ces vols et ces crimes inouïs cette impudence des passions, ces saisons folles enfin, qui nous apporte presque des soirées tièdes au coeur de l'hiver",voila un refrain vieux comme le monde des hommes ;il signifie seulement ceci: Je n'ai plus l'estomac ni la joie de vingt ans.»
Encore si ce n'était qu'une manière de dire ce que l'on éprouve, on supporterait ce discours, comme on supporte la tristesse de ceux qui sont malades. Mais les discours ont par eux-mêmes une puissance démesurée; ils enflent la tristesse, ils la grossissent, ils en recouvrent toutes les choses comme d'un manteau, et ainsi l'effet devient cause, comme on voit qu'un enfant peut bien avoir très peur de son petit camarade qu'il a lui-même déguisé en lion ou en ours.
Il est assez clair que si un homme, par naturelle tristesse, orne sa maison comme un catafalque, il n'en sera que plus triste, toutes choses lui rappelant aigrement son chagrin. Même jeu pour nos idées; si par humeur nous venons à nous peindre les hommes en noir et les affaires publiques en décomposition, ce barbouillage à son tour nous jette dans le désespoir; et l'homme le plus intelligent est souvent celui qui se dupe le mieux lui-même, parce que ses déclamations ont une suite et un air de raison.
Le pire, c'est que cette maladie se gagne; c'est comme un choléra des esprits. Je connais des gens en présence de qui l'on ne peut pas dire que les fonctionnaires sont, dans l'ensemble, plus honnêtes et plus diligents qu'autrefois. Ceux qui suivent leurs passions ont une éloquence si naturelle, une sincérité si touchante que la galerie est pour eux; et celui qui veut être juste joue alors le rôle d'un niais ou d'un mauvais plaisant. Ainsi la jérémiade s'établit comme un dogme et fait partie bientôt de la politesse.
Hier, un ouvrier tapissier, afin de soutenir une conversation préliminaire, disait tout naïvement : « Les saisons sont perdues. Qui croirait que nous sommes en hiver ? Et c'est comme l'été on ne sait plus ce que c'est."
Il disait cela après les dur chaleur de cette année qu'il a pourtant sortie comme les autres. Mais le lieu commun et plus fort que les faits. Et méfiez vous de vous-même, vous qui riez et de mon tapissier ; car tous les faits ne sont pas aussi clairs ni aussi présent au souvenirs que le bel été de dix-neuf cent onze.
Ma conclusion et que la joie est sans autorité parce qu'elle est jeune et que la tristesse est sur un trône et toujours ton respectée. D'où je tire qu'il faut résister à la tristesse, non pas seulement parce que la joie est bonne, ce qui serait déjà une espèce de raison, mais parce qu'il faut être juste, et que la tristesse, éloquente toujours, impérieuse toujours, ne veux jamais qu'on soit juste.


L'éloquence des passions.

L'éloquence des passions nous trompe presque toujours; j'entends par la cet fantasmagorie triste ou gaie, brillante ou lugubre, que nous déroule l'imagination selon que notre cas est reposé ou fatigué, excité ou déprimé.
Tout naturellement nous accusons les choses et nos semblables, au lieu de deviner et de modifier la cause réelle, souvent petite et sans conséquences.
Dans ce temps où les examens commencent à s'élever au-dessus de l'horizon, plus d'un candidat travaille aux lumières, fatigue ses yeux, et ressent un mal de tête diffus; petits maux que l'on guérit bien vite par le repos et le sommeil. Mais le naïf candidat n'y pense point. Il constate d'abord qu'il n'apprend pas vite, que les idées restent dans le brouillard et que la pensée des auteurs reste dans le papier au lieu de venir à lui; alors il s'attriste sur les difficultés de l'examen et sur ses propres aptitudes; puis portant son regard sur le passé, et contemplant tous ses souvenirs à travers le même brouillard triste, il s'aperçoit ou croit s'apercevoir qu'il n'a pas fait grand-chose d'utile, que tout est à revoir, que rien ne s'éclaire ni ne s'ordonne; regardant maintenant vers l'avenir, il pense que le temps est court et que le travail est bien lent; aussi revient-il à son livre, la tête entre ses deux mains alors qu'il devrait se coucher et dormir; le mal lui cache le remède; et c'est justement parce qu'il est fatigué qu'il se jette au travail. Il lui faudrait ici la profonde sagesse des stoïciens élucidée encore par Descartes et par Spinoza. Toujours défiant devant les preuves d'imagination, il devrait, par réflexion, deviner ici l'éloquence des passions, et refuser d'y croire, ce qui détruirait soudainement le plus clair de son mal; car un peu de mal de tête et de fatigue des yeux, cela est supportable et ne dure guère; mais le désespoir est terrible et aggrave de lui-même ses causes.Et
voilà le piège des passions. Un homme qui est bien en colère se joue à lui-même une tragédie bien frappante, vivement éclairée, où il se représente tous les torts de son ennemi, ses ruses, ses préparations, ses mépris, ses projets pour l'avenir; tout est interprété selon la colere, et la colere en est augmentée; on dirait un peintre qui peindrait les Furies et qui se ferait peur à lui meme. Voilà par quel mécanisme une colère finit souvent en tempête, et pour de faibles causes, grossies seulement par l'orage du coeur et des muscles. Il est pourtant clair que le moyen de calmer toute cette agitation n'est pas du tout de penser en historien et de faire la revue des insultes, des griefs et des revendications ; car tout cela est faussement éclairé, comme dans un délire.Ici encore il faut, par réflexion, deviner l'eloquence des passions et refuser d'y croire. Au de dire: « Ce faux ami m'a toujours méprisé», dire :" dans cette agitation je vois mal, je juge mal; je ne suis qu'un acteur tragique qui déclame pour lui même." Alors vous verrez le théâtre éteindre ses lumières, faute de public; et les brillants décors seront plus que des barbouillages. Sagesse réelle; arme réelle contre la poésie de l'injustice. Hélas! Nous sommes conseillés et menés par des moralistes d'occasion qui ne savent que se mettre en délire et donner leur mal à d'autres.

Sandcoeurle 19 juin 2023 à 13:01  •   99469

merci @zozotte !


. D'où je tire qu'il faut résister à la tristesse

--> pourquoi résister au lieu de l'accueillir et essayer d'en trouver l'origine . Pour que la joie existe il faut que la tristesse existe , tout à son contraire ... En partant du principe que tout est éphémère , on peut l'accueillir puisqu'elle ne durera pas . Enfin c'est ce qui me vient a l'esprit .

zozottele 19 juin 2023 à 13:11  •   99471

Oui tu as raison @sandcoeur.
Accueillir la tristesse pour l'accepter,la comprendre, pour, enfin, pouvoir la dépasser.
Pour pouvoir refaire de la place à la joie il faut savoir accepter sa tristesse et la dépasser.
Alain nous explique comment,il y aura vite d'autres extraits.

Édit : il le fait déjà dans ces extraits la d'ailleurs,il ne faut pas hésiter à lire plusieurs fois, ça sera toujours mieux que mes explications de textes qui gâchent les mots.🙂

Sandcoeurle 19 juin 2023 à 13:25  •   99474

@sozotte oui, en relisant je me suis aperçu que l'on pouvait " interpréter" de différentes façons ...

Juliette.le 19 juin 2023 à 15:08  •   99481

@zozotte, quel délice ce fil! Merci! 🙂

Dis, tu n'aurais pas ses coordonnées à ce Alain? 😉

zozottele 19 juin 2023 à 18:04  •   99488

@sandcoeur,"oui, en relisant je me suis aperçu que l'on pouvait " interpréter" de différentes façons"

Et oui comme je disait dans le fil de Sartre, chacun a son interprétation,ou est la vérité,qui a raison,qui a tord ?
Et surtout, surtout,les propos des uns et des autres peuvent vite être détournés complètement pour dire autre chose que ce que l'Auteur a voulu dire.
Attention aux interprétations,aux avis tranchés,aux pseudos experts auto proclamés etc etc.
Savoir s'écouter déjà soi même, c'est déjà beaucoup,et voila la clé.👍

@Juliette. Hey ça fait plaisir de te voir,ce fil est encore meilleur du coup !😄
Je crois bien que Alain n'est plus de ce monde la, alors autant profiter de ses écrits, c'est déjà pas mal et je pense que ça lui aurait plu !

OOOle 19 juin 2023 à 18:05  •   99489

🥴
Quand j'ai commencé à lire le premier morceau, j'ai failli ne pas me sentir normale. Je ne peux pas contempler le paysage en train. Puis j'ai réalisé que M. Alain n'avait pas connu les TGV et que les trains rapides de son époque, n'étaient pas ceux de la mienne... Il est mort en 1951. Aurait-il été autant inspiré dans un tgv ? Il aurait probablement trouvé d'autres sources d'inspiration pour nous passer ce message.

zozottele 19 juin 2023 à 18:25  •   99490

😄
Ben @OOO aujourd'hui c'est surtout à toi d'en inventer des sources d'inspirations.
Et les plus simples sont les meilleures tant qu'à faire.

Marvinale 20 juin 2023 à 00:15  •   99508

La vitesse : ça résonne avec Trop vite, de J.L Servan Schreiber, que j aurai bientôt terminé...
Les jérémiades/l éloquence des passions : disons que pour le moment,je vais vous dire que ça résonne tout court😉
Oui je relirai à "froid", c'est à dire, dans un état d esprit différent, puisqu à un autre moment...
Et merci aussi @OOO pour la réf "contact "

Juliette.le 20 juin 2023 à 11:34  •   99522

@zozotte, j'y "travaille", j'y "travaille " (à convoquer le bonheur)... 🙂
En tous cas, lire ce fil y contribue.

OOOle 20 juin 2023 à 12:13  •   99524

Je trouve qu'il y a beaucoup de poésie dans ces textes.
Ma pile de livres "en attente d'être lus" est trop importante que j'en rajoute un. Mais je garde Alain dans un tuyau !

zozottele 20 juin 2023 à 13:13  •   99525

@OOO je te comprends pour ta pile de livre, c'est pareil pour moi!
@Juliette. je ne me fais aucun soucis pour toi tu sais, parce que je crois bien que tu as déjà tout compris.🙂
Et ce fil aide bien c'est vrai, j'essaie de mettre d'autres extraits ce soir !

zozottele 24 juin 2023 à 18:26  •   99655

Hello, voici donc trois nouveaux extraits qui font du bien !

Sous la pluie

Il y a pourtant assez de maux réels: cela n'empêche pas que les gens y ajoutent, par une sorte d'entrainement de l'imagination. Vous rencontrez tous les jours un homme au moins qui se plaindra du métier qu'il fait, et ses discours vous paraitront toujours assez forts, car il y a à dire sur tout, et rien n'est parfait.
Vous, professeur, vous avez, dites-vous, à instruire de jeunes brutes qui ne savent rien et qui ne s'interessent à rien: vous, ingénieur, vous êtes plongé dans un océan de paperasses; vous, avocat, vous plaidez, devant des juges qui digèrent en somnolant au lieu de vous écouter. Ce que vous dites est sans doute vrai et je le prends pour tel; ces choses-là sont toujours assez vraies pour qu'on puisse les dire.Si avec cela vous avez un mauvais estomac ou des chaussures qui prennent l'eau, je vous comprends très bien, voila de quoi maudire la vie, les hommes, et même Dieu si vous croyez qu'il existe.
Cependant, remarquez une chose, c'est que cela est sans fin, et que tristesse engendre tristesse. Car, à vous plaindre ainsi de la destinée, vous augmentez vos maux, vous vous enlevez d'avance tout espoir de rire,et votre estomac lui-même s'en trouve encore plus mal. Si vous aviez un ami et s'il se plaignait amèrement de toutes choses, vous essaieriez sans doute de le calmer et de lui faire voir le monde sous un autre aspect. Pourquoi ne seriez-vous pas un précieux ami pour vous-même ? Mais oui sérieusement, je dis qu'il faut s'aimer un peu et étre bon avec soi. Car tout dépend souvent d'une première attitude que l'on prend. Un auteur ancien a dit que tout événement a deux anses et qu'il n'est pas sage de choisir pour le porter celle qui blesse la main. Le commun langage a toujours nommé philosophes ceux qui choisissent en toute occasion le meilleur discours et le plus tonique: cest viser au centre. Il s'agit donc de plaider pour soi, non contre soi. Nous sommes tous si bons plaideurs et si entrainants, que nous saurons bien trouver des raisons d'être contents, si nous prenons ce chemin-la. J'ai souvent observé que c'est par inadvertance et un peu aussi par politesse, que les hommes se plaignent de leur métier. Si on les incline à parler de ce qu'ils font et de ce qu'ils inventent, non de ce qu'ils subissent, les voilà poètes, et joyeux poètes.
Voici une petite pluie: vous êtes dans la rue, vous ouvrez votre parapluie: c'est assez. A quoi bon dire : "Encore cette sale pluie!" cela ne leur fait rien du tout aux gouttes d'eau,ni au nuage,ni au vent.
Pourquoi ne dites vous pas aussi bien :"Oh! la bonne petite pluie !"Je vous entends, cela ne fera rien du tout aux gouttes d'eau, c'est vrai ;mais cela vous sera bon à vous ;tout votre corps se secouera et véritablement s'échauffera, car tel est l'effet du plus petit mouvement de joie ;et vous voila comment il faut être pour recevoir la pluie sans prendre un rhume.
Et prenez aussi les hommes comme la pluie.Cela n'est pas facile,dites vous.Mais si; c'est bien plus facile que pour la pluie.Car votre sourire ne fait rien à la pluie, mais il fait beaucoup aux hommes,et, simplement par imitation,il les rend déjà moins tristes et moins ennuyeux.
Sans compter que vous leur trouverez aisément des excuses,si vous regardez en vous.
Marc Aurèle disait tous les matins :" je vais rencontrer aujourd'hui un vaniteux,un menteur,un injuste,un ennuyeux bavard;ils sont ainsi à cause de leur ignorance ."



Dénouer

Quelqu'un me jugeait hier en peu de mots: "Optimisme incurable."
Certainement il l'entendait mal voulant dire que je suis ainsi par nature et que j'en suis bien heureux, mais qu'enfin une bienfaisante illusion n'a jamais passé pour vérité. C'est confondre ce qui est avec ce que l'on veut faire étre. Si l'ou considère ce qui est de soi et sans qu'on y travaille, le pessimisme est le vrai; car le cours des choses humaines, dès qu'on l'abandonne, va tout de suite au pire; par exemple, qui se livre à son humeur est aussitôt malheureux et méchant. Cela est inévitable par la structure de notre corps, qui tourne tout à mal dès qu'on ne le surveille plus, dès qu'on ne le gouverne plus. Observez qu'un groupe d'enfants, faute d'un jeu réglé, en vient bientôt à la brutalité informe. Ici se montre la loi biologique de l'excitation qui va aussitôt à l'irritation. Faites l'essai de jouer à frapper dans les mains avec un tout petit enfant; bientôt il se livrera au jeu avec une sorte de fureur qui résulte de son action même. Autre essai: faites parler un jeune garçon: admirez-le seulement un peu; il arrivera à l'extrava gance dès qu'il aura vaincu la timidité. La leçon vous fera rougir vous-même, car elle est bonne pour tous en même temps qu'amère pour tous; quiconque se lance à parler, sans gouverner la machine, dit promptement assez de sottises pour maudire ensuite sa propre nature et désespérer de lui-même. Jugez d'après une foule en effervescence, et vous en attendrez tout le mal possible, sans compter toute la sottise possible. En quoi vous ne vous tromperez point. Mais celui qui connait le mal par les causes aprendra à ne point maudire et à ne point désespérer.La maladresse est la loi de tout essai, dans n'importe quel genre. Le corps, non formé par gymnastique, s'emporte aussitôt, et que ce soit dessin, ou escrime, ou aquitation, ou conversation, aussitôt vise mal et manque naturellement le but. Cela étonne, et semble donner raison au pessimiste; mais il faut comprendre par les causes, et la principale chose à considérer ici cest cette liaison de tous les muscles qui fait que chacun d'eux, dès qu'il se remue, éveille tous les autres, et non point d'abord ceux qui doivent coopérer. Le maladroit pèse de tout son corps sur le moindre mouvement, et chacun est maladroit d'abord quand ce ne serait que pour enfoncer un clou. Cependant il n'est point de limites au savoir-faire que l'on peut acquérir en s'exerçant; tous les arts et tous les métiers en témoignent. Et le dessin, ce tracé du geste, est peut-être le témoignage le plus éloquent de tous, quand il est beau; car cette main lourde, impatiente irritée, chargée de tout le corps est pourtant capable de ce trait léger, retenu et comune purifié, soumis en même temps au jugement et à la chose. Et l'homme qui crie et s'irrite la gorge est le même qui chantera, car chacun reçoit en héritage ce paquet de muscles tremblant et noué. Il faut dénouer; et ce n'est pas un petit travail. Et chacun sait bien que la colère et le désespoir sont les premiers ennemis à vaincre. Il faut croire, espérer et sourire; et avec cela travailler. Ainsi la condition humaine est telle que si on ne se donne pas comme règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir pessimisme est le vrai.



Bienveillance

« Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un!" Cette sévère parole de La Bruyère doit déjà nous rendre prudents. Car le bon sens veut que chacun s'adapte aux conditions réelles de la vie en société, et il n'est point juste de condamner l'homme moyen; c'est folie de misanthrope. Donc, sans chercher les causes, je me garde de considérer mes semblables comme si j'étais un spectateur qui a payé sa place et qui veut qu'on lui plaise. Mais au contraire, repassant en moi-même l'ordinaire de cette difficile existence, je mets d'avance tout au pire; je suppose que l'interlocuteur a un mauvais estomac ou la migraine, ou bien des soucis d'argent, ou des querelles domestiques. Ciel douteux, me dis-je, ciel de mars, gris et bleu mêlé,éclairs de soleil et bise aigre; j'ai ma fourrure et mon parapluie.
Bon, mais il y a mieux à penser là-dessus, si l'on songe à cet instable corps humain, frémissant à la moindre touche, toujours penchant, bientôt emporté, conduisant gestes et discours selon sa forme, selon la fatigue, et selon les actions étrangères; c'est pourtant corps humain qui doit m'apporter, comme un bouquet de fête, les sentiments constants, les égards et agréables propos auxquels il me semble que j'ai droit. Cependant moi-même, qui suis si attentif à l'autre, je ne le suis guère à moi; je lance des messages que j'ignore, par un geste machinal, par un froncement de sourcil; le soleil et le vent composent mon visage. J'offre ainsi à l'autre justement ce que je m'étonne de trouver en lui, un homme, c'est-à-dire un animal qui a charge d'esprit, que l'on prend toujours trop haut et puis trop bas, qui ne peut faire un signe sans en faire dix, bien plutôt qui fait signe de toute sa personne, sans pouvoir choisir. En ce mélange je dois, comme un chercheur d'or, négliger le gravier et le sable, et reconnaître la plus petite paillette; c'est à moi de chercher : aucun homme ne crible les discours qu'il lance, comme il fait de ceux qu'il entend. Me voilà donc disposé selon la politesse, et encore mieux ; j'ouvre un large crédit à l'autre; je laisse les scories. J'attends sa vraie pensée. Mais ici je remarque un autre effet auquel on ne s'attend jamais assez. Cette bienveillance, que je fais voir, délie aussitôt ce timide qui s'avance en armes et tout hérissé. Bref, de ces doux humeurs qui roulent l'une vers l'autre comme des nuages, il faut que l'une commence à sourire:si ce n'est point vous qui commencez vous n'êtes qu'un sot.Il n'est point d'homme dont on ne puisse dire et penser beaucoup de mal; il n'est point d'homme dont on ne puisse dire et penser beaucoup de bien.
Et la nature humaine est ainsi faite qu'elle n'a point peur de déplaire ;car l'irritation,qui donne courage,suit la timidité de bien près; et le sentiment que l'on a d'être désagréable rend aussitôt pire.
Mais c'est à vous ,qui avez compris ces choses, de ne point entrer dans ce jeu. C'est une expérience étonnante que celle-ci je vous prie de faire une fois, il est plus facile de gouverner directement l'humeur des autres que la sienne propre; et qui manie avec précaution l'humeur de l'interlocuteur est médecin de la sienne propre par ce moyen ; car, dans la conversation ainsi que dans la danse, chacun est le miroir de l'autre.

zozottele 24 juillet 2023 à 17:55  •   100955

Hello, voici trois nouveaux extraits.
Les relire m'a fait plaisir,et ça fait donc plaisir de les partager.
Le troisième est un de mes préférés, à mettre entre toutes les mains.


Bonne humeur

Si j'avais, par aventure, à écrire un traité de morale, je mettrais la bonne humeur au premier rang des devoirs. Je ne sais quelle féroce religion nous a enseigné que la tristesse est grande et belle,et que le sage dois méditer sur la mort en creusant sa propre tombe. Comme j'avais dix ans, je visitais la Grande Trappes; je vis ces tombes qu'ils creusaient un peu tous les jours, et la chapelle mortuaire ou les morts restaient une bonne semaine, pour l'édification des vivants.
Ces images lugubred et cette odeur cadavérique me poursuivirent longtemps; mais ils avaient voulu trop prouver. Je ne puis pas dire au juste, parce que je l'ai oublié, à quel moment et pour quelles raisons je sortis du catholicisme. Mais dès ce moment-là je me dis: «Il n'est pas possible que ce soit là le vrai secret de la vie.» Tout mon être se révoltait contre ces moines pleurards. Et je me délivrai de leur religion comme d'une maladie.
J'ai tout de même l'empreinte. Nous l'avons tous. Nous geignons trop aisément et pour de trop petites causes. Et même, quand les circonstances nous apportent une vraie peine, nous croyons devoir la manifester. Il court à ce sujet de faux jugements qui sentent le sacristain. On pardonnerait tout à un homme qui sait bien pleurer. Aussi il faut voir quelles tragédies sont jouées sur les tombes. L'orateur est comme brisé, et les mots sont pris dans sa gorge. Un ancien aurait pitié de nous. Il se dirait : « Comment ? Ce n'est donc point un consolateur qui parle. Ce n'est donc point un guide pour la vie. Ce n'est qu'un acteur tragique; un maître de tristesse et de mort. » Et que penserait-il du sauvage Dies Iræ. Je crois qu'il renverrait cet hymne à la tragédie. "Car, dirait-il, c'est quand je suis hors de peine que je puis me donner le spectacle des passions déprimantes. C'est alors une bonne leçon pour moi. Mais dès qu'une vraie peine tombe sur moi, je n'ai d'autre devoir alors que de me montrer homme et de serrer fortement la vie; et de réunir ma volonté et ma vie contre le malheur, comme un guerrier qui fait face à l'ennemi; et parler des morts avec amitié et joie autant que je le pourrai. Mais eux, avec leur désespoir ils feraient rougir les morts, si les morts les voyaient."
Oui, il nous reste, après avoir écarté les mensonge des prêtres, à prendre la vie noblement, et à ne point nous déchirer nous mêmes,et les autres par contagion,par les déclamation tragiques.
Et encore bien mieux,car tout se tient, contre les petits maux de la vie,ne point les raconter,les étaler ni les grossir.
Être bon avec les autres et avec soi.Les aider à vivre, s'aider soi même à vivre voila la vraie charité.
La bonté est joie, l'amour est joie.


Injures

Si un phonographe vous couvrait soudainement
d'injures, cela vous ferait rire. Si un homme de mauvaise humeur, mais à peu près sans voix, faisait
marcher un phonographe à injures pour contenter sa
colère, personne ne croirait que telle injure, blessante,
par hasard, lui était destinée. Mais quand c'est la face
humaine qui lance l'injure, chacun veut croire que tout
ce qu'elle dit était prémédité, ou tout au moins est
pensé dans l'instant même. Ce qui trompe, c'est l'éloquence des passions et l'espèce de sens qu'offrent presque toujours des paroles produites sans pensée par une bouche humaine.
Descartes a écrit le plus beau de ses ouvrages trop peu lu, c'est le Traité des Passions, justement pour expliquer comment notre machine, par sa forme et par le pli de l'habitude, arrive aisément à jouer la pensée. Pour nous-mêmes aussi. Car, lorsque nous sommes bien en colère, d'abord nous imaginons mille choses qui s'accordent très bien avec notre fureur physique qui, par la vivacité, sont autant de preuves; et puis nous
produisons en même temps des discours souvent d'accent et de vraisemblance, qui nous touchent nius-mêmes, comme ferait le jeu d'un bon acteur. Si quelque autre s'échauffe par imitation et nous donne la réplique, voilà un beau drame, où pourtant il est vrai que les pensées suivent les paroles au lieu de les précéder. La vérité du théâtre est sans doute en ceci que les personnages ne cessent de réfléchir sur ce qu ils ont dit. Leurs paroles sont comme des oracles, dont ils cherchent le sens.
Dans un bon ménage, les discours improvisés dans le jeu de l'impatience atteignent souvent le comble du ridicule. Et il faut savoir rire de ces belles improvisations. Mais la plupart des gens ignorent tout à fait cet automatisme des émotions; ils prennent tout naïvement, comme des héros d'Homère. De là des haines qu'il faut appeler imaginaires. J'admire l'assurance d'un homme qui hait. Un arbitre n'écoute guère un témoin qui s'échauffe jusqu'à la fureur. Mais dès qu'un homme est en cause, il se croit lui-même; il croit tout. Une de nos erreurs les plus étonnantes est d'attendre que la colère laisse sortir une pensée longtemps cachée; cela n'est pas vrai une fois sur mille; il faut qu'un homme se possède s'il veut dire ce qu'il pense. Cela est évident, mais l'entraînement, l'emportement, la précipitation à chercher la réplique vous le feront oublier. Le bon abbé Pirard, dans Le Rouge et le Noir, prévoit la chose: «Je suis sujet, dit-il à son ami, à prendre de l'humeur; il se peut que nous cessions de nous parler. » La naïveté ne peut aller plus loin. Quoi? Si ma colère est un fait de phonographe, j'entends de bile, d'estomac et de gosier, et si je le sais bien, ne puis-je siffler ce mauvais acteur tragique au milie même de son discours?
Il est à supposer que les jurons, qui sont des exclamations entièrement dépourvues de sens,ont été inventés comme instinctivement pour donner issue à la colère, sans rien dire de blessant ni d'irréparable.
Et nos cochers, sans les encombrements, seraient donc philosophes sans de savoir. Mais il est bien plaisant de voir que parmi ces cartouche à blanc, quelquefois il y en a une qui blesse par hasard.
On peut m'injurier en Russe je n'y entends rien. Mais si par hasard je savais le russe ? Réellement toute injure est charabia.
Comprendre bien cela, c'est comprendre qu'il n'y a rien à comprendre.



Amitié

Il y a de merveilleuses joies dans l'amitié.
On le comprend sans peine si l'on remarque que la joie est contagieuse.Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vrai joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie ; ainsi que la joie que chacun donne lui est rendue ; en même temps des trésors de joie sont mis en liberté,et tous deux se disent : j'avais en moi du bonheur dont je ne faisais rien.
La source de la joie est au dedans, j'en conviens ; et rien n'est plus attristant que de voir des gens mécontents d'eux et de tout,qui se chatouillent les uns les autres pour se faire rire.
Mais il faut dire aussi que l'homme content, s'il est seul, oublie bientôt qu'il est content ; toute sa joie est bientôt endormie; il en arrive à une espèce de stupidité et presque d'insensibilité. Le sentiment intérieur a besoin de mouvements extérieurs. Si quelque tyran m'emprisonnait pour m'apprendre à respecter les puissances, j'aurais comme règle de santé de rire tout seul tous les jours; je donnerais de l'exercice à ma joie comme j'en donnerais à mes jambes.
Voici un paquet de branches sèches. Elles sont inertes en apparence comme la terre; si vous les laissez là, elles deviendront terre. Pourtant elles enfer ment une ardeur cachée qu'elles ont prise au soleil. Approchez d'elles la plus petite flamme et bientôt vous aurez un brasier crépitant. Il fallait seulement secouer la porte et réveiller le prisonnier.
C'est ainsi qu'il faut une espèce de mise en train pour éveiller la joie. Lorsque le petit enfant rit pour la première fois, son rire n'exprime rien du tout; il ne rit pas parce qu'il est heureux; je dirais plutôt qu'il est heureux parce qu'il rit; il a du plaisir à rire, comme il en a à manger; mais il faut d'abord qu'il mange. Cela n'est pas vrai seulement pour le rire; on a besoin aussi de paroles pour savoir ce que l'on pense. Tant qu'on est seul on ne peut être soi. Les nigauds de moralistes disent qu'aimer c'est s'oublier; vue trop simple; plus on sort de soi-même et plus on est soi-même; mieux aussi on se sent vivre. Ne laisse pas pourrir ton bois dans ta cave.

zozottele 26 juillet 2023 à 16:58  •   101015

Allez,un petit dernier pour la route, après j'arrête il ne faut pas abuser des bonnes choses et puis le forum va avoir des problèmes avec les droits d'auteur après !




Du devoir d'être heureux

Il n'est pas difficile d'être malheureux ou mécontent; il suffit de s'asseoir, comme fait un prince qui attend qu'on l'amuse; ce regard qui guette et pèse le bonheur comme une denrée jette sur toutes choses la couleur de l'ennui; non sans majesté, car il y a une sorte de puissance à mépriser toutes les offrandes; mais j'y vois aussi une impatience et une colère à l'égard des ouvriers ingénieux qui font du bonheur avec peu de chose, comme les enfants font des jardins. Je fuis. L'expérience m'a fait voir assez que l'on ne peut distraire ceux qui s'ennuient d'eux-mêmes.
Au contraire, le bonheur est beau à voir; c'est le plus beau spectacle. Quoi de plus beau qu'un enfant ? Mais aussi il se met tout à ses jeux; il n'attend pas que l'on joue pour lui. Il est vrai que l'enfant boudeur nous offre aussi l'autre visage, celui qui refuse toute joie; et heureusement l'enfance oublie vite; mais chacun a pu connaître de grands enfants qui n'ont point cessé de bouder. Que leurs raisons soient fortes, je le sais ; il est toujours difficile d'être heureux; c'est un combat contre beaucoup d'événements et contre beaucoup d'hommes; il se peut que l'on y soit vaincu; il y a sans aucun doute des événements insurmontables et des malheurs plus forts que l'apprenti stoïcien; mais c'est le devoir le plus clair peut-être de ne point se dire vaincu avant d'avoir lutté de toutes ses forces. Et surtout, ce qui me paraît évident, c'est qu'il est impossible que l'on soit heureux si l'on ne veut pas l'être; il faut donc vouloir son bonheur et le faire.
Ce que l'on n'a point assez dit, c'est que c'est un devoir aussi envers les autres que d'être heureux. On dit bien qu'il n'y a d'aimé que celui qui est heureux; mais on oublie que cette récompense est juste et méritée; car le malheur, l'ennui et le désespoir sont dans l'air que nous respirons tous; aussi nous devons reconnaissance et couronne d'athlète à ceux qui digèrent les miasmes, et purifient en quelque sorte la commune vie par leur énergique exemple. Aussi n'y a-t-il rien de plus profond dans l'amour que le serment d'être heureux. Quoi de plus difficile à surmonter que l'ennui, la tristesse ou le malheur de ceux que l'on aime? Tout homme et toute femme devraient penser continuellement à ceci que le bonheur, j'entends celui que l'on conquiert pour soi, est l'offrande la plus belle et la plus généreuse.
J'irais même jusqu'à proposer quelque couronne civique pour récompenser les hommes qui auraient pris le parti d'être heureux. Car, selon mon opinion, tous ces cadavres, et toutes ces ruines, et ces folles dépenses, et ces offensives de précaution, sont l'oeuvre d'hommes qui n'ont jamais su être heureux et qui ne peuvent supporter ceux qui essaient de l'être. Quand j'étais enfant, j'appartenais à l'espèce des poids lourds, difficiles à vaincre, difficiles à remuer, lents à s'émouvoir. Aussi il arrivait souvent que quelque poids léger, maigre de tristesse et d'ennui, s'amusait à me tirer les cheveux, à me pincer, et avec cela se moquant, jusqu'à un coup de poing sans mesure qu'il recevait et qui terminait tout. Maintenant, quand je reconnais quelque gnome qui annonce les guerres et les prépare, je n'examine jamais ses raisons, étant assez instruit sur ces malfaisants génies qui ne peuvent supporter que l'on soit tranquille.

Surderienle 14 août 2023 à 09:23  •   101792

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Du bonheur d'être soi...
A travers soi et à travers les autres...

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